MAYA
« Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse, Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur, Loin du désir mondain et du regard moqueur, Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal Savamment constellé de rimes de cristal, Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ; Et dans ma jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon, Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ; Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
À une madone (extraits) - Les Fleurs du Mal - Charles Baudelaire
MAYA
Exposition photographique de Franck Betermin
La Madone, figure iconique, qu’elle soit religieuse, sacrée, païenne ou romantique, met en majesté la femme, la mère ou l’être idolâtrée. Mais c’est bien sa parure qui vient déterminer si elle est adorée, sanctifiée, martyrisée ou l’objet d’une passion à exorciser. Ses attributs, son attitude, la richesse ou la pauvreté de ses ornements, forment un langage entre la figuration, l’abstraction et le symbolisme.
C’est ainsi que MAYA a conçu ses madones, dont les ornements de tête créés à partir de matières organiques et sans valeur particulière, composent des figures qui semblent tout droit sorties de civilisations antiques ou d’étranges récits uchroniques. Des parures fantastiques qui interrogent.
Dans la boîte noire du photographe Franck Betermin, MAYA prend la lumière comme un bijou tout juste taillé. Ses madones s’animent par le prisme du regard. Le sien d’abord, puis celui porté sur elle. Chaque icône richement parée, ainsi enchâssée dans l’ombre du studio, prend vie et raconte son histoire. De ces créatures ainsi fardées, voilées ou dissimulées derrière leurs ornements spectaculaires, Franck Betermin composent des tableaux. « La jeune fille à la perle » en 2020 est devenue gothique, elle écoute du métal et sur elle le bijou n’est plus un simple accessoire pour rehausser le regard, mais bien l’objet de toute les « vanités » et de tous les discours.
Pendant deux années, Franck Betermin a capturé les créatures de MAYA dans la contrainte d’un cadre strict de format et de lumière. Un exercice de style inhabituel pour cet artiste breton
davantage habitué aux reportages qu’au travail en studio. Une série inédite qui révèle la richesse et l’extravagance d’un oeil, qui a encore beaucoup de choses à nous montrer.
À travers lui, les parures baroques de MAYA, comme les vers de Baudelaire entre spleen et idéal, révèlent une poésie plus sombre que l’éloge ou l’élégie, habitée, énigmatique, iconoclaste, cruelle et provocatrice... mais toujours élégante.
Cécile Peltier